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  • Léo-Paul

Elle a déjà gagné



Quelques jours après l'immonde assassinat de Samuel Paty, l'émotion est encore vive. Pas suffisamment pour empêcher la droite de mener son entreprise de récupération et l'Elysée d'emboîter le pas, laissant entrevoir une réponse aux tenants idéologiques dangereux.

Retour en 2015. Cette année-là, la France subissait deux des événements les plus traumatiques de son Histoire récente. A travers ces deux attentats, elle était confrontée pour la première fois aussi directement au terrorisme islamique. Ses sbires venaient de loin, ou plutôt en revenaient. Ils étaient partis subir un lavage de cerveau, puis revenus perpétrer ces crimes horribles. A l'horizon : la charia et l'Etat Islamique. Le projet était idéologique, il s'agissait d'attaquer un mode de vie. La liberté d'expression, de fêter, de croire ou de ne pas croire. La méthode était barbare et nous l'avons tous vécu comme un choc. Pourtant, la réponse collective fut grande et digne. L'éducation, d'abord. J'avais alors 14 ans, et les enseignants, comme les médias, intellectuels et politiques mettaient un point d'honneur à expliquer. Expliquer le pourquoi, le comment, les tenants et aboutissants. Le terrorisme avait un but idéologique, mais aussi pratique : la division. Daesh voulait diviser le peuple français en poussant la stigmatisation des musulmans pour mieux les attirer sous son autorité. Bien sûr, Marine Le Pen existait déjà à l'époque, et il y eut des outrances. Mais dans l'ensemble, le discours dominant était apaisé, intelligent et protecteur vis-à-vis des millions de compatriotes musulmans, que l'idée d'être associés à ces actes qui souillaient leur foi révulsait. On n'avait pas peur de combattre à la fois l'idéologie islamiste et l'idéologie raciste qui voulait s'y opposer. On n'avait pas peur de dire que les fachos et les terroristes islamistes étaient du même bord et avaient les mêmes objectifs : la division. Nous avions fait bloc. Nous avions fait Nation.

Cinq ans plus tard, il ne reste plus rien.

Doucement mais sûrement, l'idéologie et les remparts que nous avions dressés pour faire face unis se sont effondrés. D'abord, il y a eu la tentative de loi sur la déchéance de nationalité, qui a montré que, dans la panique, un gouvernement qui se disait de gauche pouvait reprendre les propositions du Front National. Mais l'opinion, le Parlement et certains poids lourds du gouvernement ont vite coulé cette initiative qui passait la ligne rouge.

Puis, il y eut 2017. Alors que le Front National accède pour la deuxième fois au second tour d'une élection présidentielle, l'émotion est loin d'être aussi vive qu'en 2002. On l'avait vu venir, en même temps... Mais le besoin de faire barrage (l'injonction !) est toujours présent et 66% des électeurs s'étant déplacés ont décidé de voter contre Marine Le Pen. Arrive ainsi au pouvoir Emmanuel Macron, un jeune banquier qui se revendique hors des clivages, identifié dans l'opinion comme un homme de centre-gauche sans grande épaisseur. Mais il était arrivé face à Le Pen, ce qui est largement suffisant pour se faire élire, quel que soit le profil. Très vite on se rend compte que le jeune Macron ambitionne une présidence Jupitérienne dans l'incarnation et résolument à droite économiquement. Pour ce qui est du « et de gauche », on le cherche dans quelques articles de loi, dans quelques directions données, dans de lointains projets. Alors que s'installe une image de Président de droite, d'aucuns nous promettent un virage social, un « Acte II de gauche », de grandes réformes. Mais le timide dédoublement des classes de CP en ZEP (exemple éculé car isolé) peine à cacher le mal qu'a fait la Loi Asile Immigration, qui attaque le droit d'asile en réduisant le délais pour déposer un dossier tout en rallongeant le temps légal de rétention. Les atteintes aux droits des personnes furent critiquées par le Défenseur des Droits d'alors, qui eut d'ailleurs à prendre la parole régulièrement au cours de ce quinquennat.

Un an plus tard, Macron est revenu à la charge. Comme s'il fallait instaurer, régulièrement, une piqûre de rappel que sa politique sera ferme face à l'immigration et aux étrangers. Comme si pour battre Marine Le Pen, il fallait finalement reprendre ses thèmes, sa rhétorique et ses solutions (observez le glissement). Ainsi, Macron déclare à ses députés qu'il ne faut pas faire « les bourgeois » (c'est quand ça l'arrange) et ignorer la question car ceux-ci serait « à l'abri », contrairement aux classes populaires qui « vivent avec ». Le Pen n'aurait pas dit mieux. Dans la foulée est organisé un débat sur l'Immigration au Parlement, et annoncé que ce débat aura désormais une récurrence annuelle.


Dans le viseur : les musulmans.

Lorsqu'un prêtre est assassiné, en 2016, c'est toute la Nation qui est en deuil, se rassemble et se recueille. Lorsqu'une juive, Mireille Knoll, est assassinée parce que juive, le même phénomène se produit. Il est normal et sain de faire bloc et de dire que l'intolérance ne sera pas tolérée. Pourtant, quand - entre deux polémiques gouvernementales sur le voile - un fasciste s'en prend à une mosquée et des fidèles musulmans en ouvrant le feu, l'émotion se fait attendre. Les grands partis, les grandes organisations, le gouvernement, tous sont frileux à dire leur compassion et à appeler au rassemblement. Plus personne ne veut faire bloc. Ceux qui iront au rassemblement à l'initiative du CCIF seront conspués, et le sont toujours, pour avoir défilé avec des islamistes alors qu'il s'agissait d'une marche républicaine et humaniste. La période « pas d'amalgame » est loin.

C'est sans compter l'extrême-droitisation des plateaux TV, des éditorialistes, la complaisance totale dans laquelle ils échangent sans contradiction et sans fact-checking. En quelques années, le pouvoir (dont le représentant devait être un rempart !) et les médias se sont laissés imposer leurs thèmes par les fachos. La lepénisation des esprits est en marche, dans une surenchère islamophobe assourdissante.

Si bien qu'après l'assassinat de Samuel Paty, le deuil n'est même plus de mise. Le RN et ses enfants idéologiques fanfaronnent sur les plateaux, tentant de cacher leurs sourires, et surenchérissent dans la rhétorique guerrière, sécuritaire, raciste. Le gouvernement, représenté par Gérald Darmanin, emboîte le pas. Il veut fermer des mosquées. Dissoudre des associations caritatives musulmanes. Virer le Rapporteur Général de l'Observatoire de la Laïcité car il serait trop soucieux de la stigmatisation des musulmans. Bref, profiter de l'horreur pour imposer des dispositions racistes, tenter de marquer l'opinion publique en gesticulant, au prix de la sécurité physique et mentale de plus de 4 millions de musulmans.

Aujourd'hui, critiquer la récupération politique de l'horreur est devenu grossier. Se soucier de ne pas amalgamer tous les musulmans à un fou sanguinaire est une bassesse, un manque de courage. Et les moutons bêlent.

La pensée RN est devenue la norme, récupérée par tous les bords politiques ou presque. Plus que la norme, une obligation. Si on ne s'y plie pas, on est complices ! Macron, qui s'était présenté en rempart, a embrassé leur idéologie. 2022, je ne sais pas. Mais sur le fond, ils ont déjà gagné.

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