Bulletin n°6 : le temps retrouvé

Le principe des bulletins, c'est, chaque dimanche en fin d'après-midi, de vous proposer quelques mots à penser, à découvrir, à oser, à apprécier, à oublier, à apprendre, pour la semaine à venir. Nous composons les bulletins au gré de nos envies, de nos émotions, de nos connaissances. Vous y trouverez de petites choses que nous souhaitons partager.

Cher.e.s lecteurs.trices, nous espérons que vous allez bien. Nous entrons demain dans notre quatrième semaine de confinement déjà ; l'occasion de faire un point sur notre rencontre agitée avec un nouveau colocataire, le temps, mais aussi de proposer quelques recommandations pour ce mois d'avril.

À la recherche (de l'optimisation) du temps perdu

Lorsque l'annonce du confinement est tombée, les mêmes réactions ont pu être observées un peu partout : une frénésie de listes, d'objectifs, de missions qu'on se fixe, en somme, tout pour rentabiliser ce temps si désiré, qu'on craint de "perdre" maintenant qu'on en dispose. Mais à mesure que les jours passent, on se rend compte qu'on ne va pas pouvoir tenir le rythme "normal" qu'on a tenté de s'imposer. Et que finalement, ce n'est pas si grave. Non, tu n'as pas besoin d'avoir appris trois langues d'ici la fin du confinement pour pouvoir affirmer que tu n'as perdu ton temps, ou pour montrer à la face du monde que toi, tu as bien été productif.ve. En ayant trop d'objectifs que tu ne pourras pas remplir, tes journées passeront vite, mais tu iras te coucher angoissé.e et coupable à l'idée de ne pas être à la hauteur, comme si le confinement était une autre performance à atteindre, comme si on allait récompenser les meilleurs confiné.e.s du mois. Le confinement est l'occasion de s'extirper du temps "normal", celui que l'on consacre à être productif.ve, "proactif.ve" et tout autre terme de marketing. La situation est extraordinaire, largement inédite ; pourquoi s'obstine-t-on donc à vouloir y plaquer le temps du quotidien ? On pourrait imaginer s'autoriser, pour une fois, une autre vision du temps, que l'on ne craindrait pas de perdre au motif que l'on en dispose en quantité. Goûter à la véritable lenteur du temps, se le réapproprier, pour ensuite l'employer de manière plus saine ; on semble ici bien loin du gâchis !

Une chaîne youtube

The take, chaîne anglophone qui propose des analyses très bien construites de séries et films souvent populaires (Friends, The Office...), mais aussi des essais très intéressants déconstruisant les personnages types les plus populaires au cinéma : je conseille en particulier la vidéo sur la "cool girl" (/!\ elle vous gâchera en partie l'intrigue de Gone Girl si vous ne l'avez pas encore vu !). Leurs analyses s'appuient pour la majorité sur des films américains plébiscités, mais les réflexions développées sont généralisables à nombre de nos films français, voire, puisque la culture reflète la société tout autant qu'elle l'influence, à nombre de nos schémas de pensées...

Un livre

Les mémoires d'Hadrien, Marguerite Yourcenar

À propos du sommeil :

" ce qui m’intéresse ici, c’est le mystère spécifique du sommeil goûté pour lui-même, l’inévitable plongée hasardée chaque soir par l’homme nu, seul, et désarmé, dans un océan où tout change, les couleurs, les densités, le rythme même du souffle, et où nous rencontrons les morts. Ce qui nous rassure du sommeil, c’est qu’on en sort, et qu’on en sort inchangé, puisqu’une interdiction bizarre nous empêche de rapporter avec nous l’exact résidu de nos songes. Ce qui nous rassure aussi, c’est qu’il guérit de la fatigue, mais il nous en guérit, temporairement, par le plus radical des procédés, en s’arrangeant pour que nous ne soyons plus. Là, comme ailleurs, le plaisir et l’art consistent à s’abandonner consciemment à cette bienheureuse inconscience, à accepter d’être subtilement plus faible, plus lourd, plus léger, et plus confus que soi"

Les rêves

Transition toute trouvée donc, vers un phénomène que l'on ne prend jamais au sérieux au prétexte qu'il se déroule malgré nous : le rêve. Pourtant, il constitue un échappatoire extraordinaire qui ne demande aucun effort actif, à la routine un peu fade du confinement. Sans aller jusqu'à tenter de les analyser maladroitement, ou à y trouver des signes célestes, je vous encourage à essayer de vous en rappeler, voire de les noter chaque matin ; dans dix ans, retrouver dans un carnet cet espace infini d'une imagination, elle, jamais confinée, et confronter la réalité qui a été la nôtre, et les rêves qui en ont découlé, sera sans doute enrichissant.

Pour garder contact

Une astuce pratique maintenant pour dépoussiérer l'appel téléphonique, et passer un bon moment avec les personnes les plus isolées : le scrabble téléphonique avec papi, mamie ou tout autre membre intéressé.e dans la poursuite de mots compte double. Il faut que chaque interlocuteur.trice soit muni.e d'un Scrabble complet ; à tour de rôle, chacun annonce ce qu'iel joue pour que l'autre, au bout du fil, puisse positionner les lettres sur son plateau. Ca ne vous empêchera pas de vous faire humilier par papi, qui une fois le système bien compris, alignera gaiement ces mots dont lui-seul à le secret (wu, hie, li) mais vous n'aurez pas à affronter son regard déçu lorsque vous lui prendrez sa place pour poser "La" ; on en ressort finalement donc tou.te.s gagnant.e.s. Ce système peut également s'appliquer à de nombreux jeux de société, le principal étant que chaque partie dispose du jeu. Il permet de passer un moment un peu plus convivial que ne le proposent les plateformes de jeux de société en ligne, comme Plato.

Un magazine et des playlists

Spass, ça veut dire 'plaisir' en allemand ; c'est aussi le nom de la playlist mensuelle publiée par Hugo et Pierre Laly. Disponible sur Spotify ou par newsletter, elle se construit autour d'un thème large, et propose entre 10 et 15 titres d'horizons variés. Le quinzième épisode, "115% jouir", prend pour thème "l'île"; le vingtième, "120% jouir", la "grêve". Ils en sont aujourd'hui à leur 22e numéro, et ont sorti le 4 avril le troisième numéro de leur revue, intitulée "libérer le temps". Vous pouvez les retrouver sur Spotify ou sur Instagram, @spass_plaisir, voire directement par mail : spasscourriel@gmail.com

Prenez soin de vous, de vos proches, restez à la maison où vous pouvez même vous découvrir d'un fil, et occupez votre temps comme vous le voulez, sans culpabiliser !