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  • Esther

"La Cravate", l'histoire de cette seconde France



"Mais du coup, je suis un connard ou pas ?" demande Bastien en achevant la lecture du texte qui sera déclamé tout au long du documentaire.


C'est la question que pose "La Cravate", nouveau documentaire d'E.Chaillou et M.Théry et qui suit le parcours d'un jeune Picard, Bastien, militant du Front National depuis ses 15 ans.

À la première impression, nous sommes amusé.e.s, presque étonné.e.s tant, avec son visage joufflu et ses cheveux rasés, Bastien correspond à l'archétype du sympathisant FN. On ne peut s'empêcher d'esquisser un sourire à la vue de l'affiche de Marine Le Pen ornant fièrement le mur de sa chambre : la caricature semble poussée à l'extrême.

Mais "La Cravate" se dérobe aux codes traditionnels du documentaire, autant dans sa mise en scène puisque plans larges et stylisés alternent avec une caméra à l'épaule que dans sa narration. En effet, Bastien n'est pas filmé comme un dangereux fanatique, ni accompagné d'une musique inquiétante : c'est un texte, ponctué de rires et de remarques du jeune militant qui guide le spectateur. Et c'est ce qui fait la force de ce documentaire : de se placer du côté de Bastien et nous inviter à découvrir ses pensées. Alors on essaye d'écarter nos préjugés, ne serait-ce que pour essayer de trouver une explication à cet engagement qu'il rechigne à avouer à ses parents et à ses collègues.

Déconcerté.e.s, nous suivons ainsi ses combats de Laser Game, ses petits déjeuners ou ses soirées avec des amis. Mais tout cela, c'est avant que l'admiration qu'il porte à Eric, son ambitieux ami devenu conseiller régional, ne prenne de plus en plus de place et commence à nous alarmer. C'est d'ailleurs ce dernier qui, entre deux regards hostiles à la caméra de peur qu'elle n'enregistre une remarque déplacée, va introduire Bastien dans le cruel monde politicien.

Tandis que les cadres du parti ne semblent même pas le remarquer, nous assistons, interdit.e.s, à la naissance d'une ambition nouvelle chez le jeune homme, dont les gestes nerveux traduisent l'émotion. Et à partir de là, le documentaire devient poignant ; saisi.e.s d'effroi à la découverte du vécu personnel de Bastien qu'il retrace lui-même, l'on s'aperçoit de toute l'habileté du parti d'extrême droite qui veille à sa dédiabolisation et qui a su convaincre plus d'un.e au-delà du jeune homme.


La Cravate, c'est l'histoire de cette seconde France, celle qui se sent délaissée et rêve d'une revanche contre les "élites". Plutôt qu'au milieu des réunions des cadres du parti, c'est auprès de ses adhérent.e.s que l'on peut comprendre comment dix millions d'électeurs et d'électrices se sont tourné.e.s vers un parti violent, haineux, raciste lors des dernières élections. C'est ce que les réalisateurs du documentaire ont bien compris, et la conclusion n'en est que plus funeste. Alors que se préparent les présidentielles de 2020, Bastien l'affirme, ce qui compte, ce sont les "idées".

Et tant qu'elles ne seront pas au pouvoir, il ne "s'arrêtera pas".

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