L'élection vue du Brésil: Une toute autre version
- Margaret (traduit du portugais par Ella)
- 31 oct. 2018
- 3 min de lecture

À la veille du second tour des élections brésiliennes, nous avons envoyé un message de soutien et de pensées à notre amie Carioca [habitante de Rio de Janeiro], Margaret. Cette brésilienne, universitaire retraitée, nous a répondu le lendemain des résultats. Le candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro a été élu Président de la République fédérative du Brésil avec 55,1% des voies face à Fernando Haddad, membre du Parti des Travailleurs (Centre gauche). Depuis dimanche, on parle d’un vote de haine, d’une nouvelle victoire démocratique du fascisme. Le message de Margaret met en lumières d’autres explications à la victoire de Bolsonaro. « En ce moment, recevoir un message de réconfort nous fait beaucoup de bien.
Les élections ont été truquées, depuis le début, parce que Lula a été fait prisonnier politique ; il aurait été élu au premier tour. Les forces économiques derrière le candidat fasciste « BolsoNazi » déstabilisent le Brésil depuis que Lula a investi massivement dans les sciences, la technologie. Cet investissement a permis à Petrobrás, entreprise étatique, de découvrir le pré-salé [viande extrêmement prisée, ndt], le pétrole dans les eaux profondes, ainsi qu’une mine d’or noir, gigantesque… Dilma Rousseff, la présidente qui a succédé à Lula, a été espionnée par les services secrets américains durant tout le temps de son mandat, en particulier autour des plans de Petrobrás, dont les bénéfices auraient été investis massivement dans l’éducation, la santé et la sécurité publique. Les multinationales pétrolières sont les responsables directes du coup d’état parlementaire [en 2016] qu’a subi Dilma. Aujourd’hui, l’élection du fasciste [Jair Bolsonaro] n’est qu’un pas de plus vers la destruction du Brésil pour mettre la main sur nos ressources naturelles. Le Brésil possède en effet la plus grande réserve sous-terraine d’eau douce pure, l’Aquífero Guarani, à la frontière avec l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay. La multinationale Nestlé veut toute cette eau. Le Brésil est par ailleurs riche en terres rares, en métaux (comme le niobium par exemple [élément chimique utilisé à 90% dans la fabrication de l’acier]) essentiels pour la nanotechnologie et la technologie de l’information. Les entreprises nord-américaines de la Silicon Valley et l’université Stanford de Palo Alto ont déjà cartographié toute la richesse du sous-sol brésilien. Elle coïncide avec les aires naturelles et les parcs protégés, avec les espaces qu’habitent les indigènes - depuis longtemps délimités, au nord et au centre-ouest du Brésil. Bolsonaro veut en finir avec les peuples qui vivent dans ces zones pour vendre les terres exploitables aux nord-américains. Les sondages électoraux ont donc été truqués, les urnes ont été truquées. Plus de 5 millions de cartes électorales ont été retirées par des manœuvres juridiques illégales, et cela majoritairement dans les régions où le Parti des Travailleurs [PT] aurait gagné avec plus de 70% de votes. Carlos [le mari de Margaret] et moi-même avons vu nos cartes électorales révoquées… Les transports publiques ont été retirés le jour du vote dans les villes à dominance pro-Haddad [candidat du PT face à Bolsonaro au second tour des élections]. Mais la lutte commence à peine. Nous sommes tristes mais tout de même forts, nos enfants militent comme jamais, la jeunesse doit apprendre rapidement et profondément à s’organiser pour faire face au processus de destruction des politiques publiques - qu’avaient créés Lula et Dilma pour diminuer les inégalités au Brésil. Des millions de personnes, peu scolarisés et vivant sous le joug de la violence quotidienne de la police du Brésil, ont, pendant des mois, été bombardées par l’entreprise Cambridge Analytica de Steve Bannon de messages envoyés depuis des ordinateurs de Californie, parfois 6 messages par jours, incitant à la peur et dénonçant le PT par tous les moyens, en mentionnant le chômage, la violence, etc., pour décrédibiliser le candidat Haddad et dissuader le vote à gauche ¹ . Le problème est global, vous le savez comme moi. Nous devons maintenant construire des alternatives pour protéger les plus fragiles, et ceux qui courent le plus de risques : les jeunes noirs, les dirigeantEs, les LGBT, les organismes à la tête de mouvements sociaux, les défenseurs de la terre, du logement pour tous, les activistes de l’environnement, les professeurs… Enfin, nous sommes touchés, parce que nos amis du monde entier nous soutiennent émotionnellement en cette période tellement difficile. Amitiés, et « all the best » de votre côté. »
¹ : L’article « Brésil : Apocalypse Now » de Libération évoque ce point: https://www.liberation.fr/debats/2018/10/25/bresil-apocalypse-now_1687786
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