Du caractère (c'est déjà ça)

À défaut de réaliser la montée en puissance (tant) attendue, à défaut de se montrer aussi convaincante que d'autres favoris de cet Euro (l'Allemagne et l'Italie) ne l'ont été dès leur entrée dans le tournoi, à défaut de rassurer vraiment en défense et de confirmer les immenses espoirs placés en son milieu et son attaque, à défaut de livrer enfin une première mi-temps ne serait-ce que convenable, à défaut enfin, en fait, de sembler être une grande équipe, l'Équipe de France a une nouvelle fois fait la preuve hier face à l'Albanie qu'elle avait du cœur et du caractère.

Dans la ferveur du Stade Vélodrome, face à un adversaire coriace et déterminé qui ne leur a rien laissé, les Bleus ont livré une première période totalement insipide, au cours de laquelle ils n'ont pas cadré la moindre frappe (seulement deux au total, pour... deux buts - vous avez dit efficacité totale?).

La faute, sans doute, à Didier Deschamps, qui comme le clame la presse hexagonale mais surtout européenne (rira bien qui rira le dernier, on se fera une joie de faire taire nos meilleurs ennemis -allemands, italiens, espagnols, anglais- en temps et en heure, enfin pour ça il faudra quand même sacrément élever le niveau...!), s'est trompé dans les grandes largeurs en alignant Kingsley Coman et Anthony Martial plutôt que Paul Pogba et Antoine Griezmann, mi-punis mi-préservés, dans un 4-2-3-1 pourtant sur le papier séduisant et très rapide.

Il n'y a eu aucune vitesse, aucun mouvement, et les deux gamins ont laissé passé une belle opportunité de semer le doute dans la tête du sélectionneur quant à son onze de départ. Maintenant, c'est clair: comme l'a dit l'entraîneur Paul Le Guen (ancien coach du PSG) hier soir sur L'Équipe 21, le match d'hier marque la "mort" du 4-2-3-1 et conforte donc le 4-3-3, par défaut mais aussi du fait des belles entrées de Griezmann et Pogba.

La faute aussi aux joueurs, il faut le dire, qui avaient quand même, comme on l'a d'ailleurs vu sur la fin, les moyens techniques de faire autrement plus souffrir cette courageuse mais limitée équipe albanaise qu'ils ne l'ont fait pendant 45 longues et tristes minutes.

Les entrées de Pogba dès la reprise puis Griezmann à l'heure de jeu ont peu à peu métamorphosé cette équipe qui, sans réaliser la mi-temps du siècle, a fait ce qu'on attend d'elle en phase de poules face à des adversaires très bien organisés mais nettement inférieurs techniquement: un pressing haut et régulier, un siège de plus en plus étouffant du but adverse jusqu'à l'acmé des dix dernières minutes où la pression, même maladroitement exercée, est devenue trop forte pour l'Albanie, qui a craqué sur un centre parfait d'Adil Rami repris de la tête par le petit Griezmann (90ème minute!) et un contre lancé d'une superbe transversale de Pogba et conclu très joliment par Dimitri Payet, nouvelle coqueluche nationale, qui sans réitérer la même performance hallucinante que contre la Roumanie a réalisé un bon voire très bon match (90e+5!).

La France, des Bleus sur le terrain au pays tout entier en passant par un Vélodrome en ébullition, pouvait exulter et souffler un bon coup, comme vendredi dernier.

Mais il faudra un peu ou beaucoup plus de tout (si ce n'est de caractère et de passion, elle en a à revendre et c'est là la marque enthousiasmante, emballante, ébouriffante de Deschamps, qui a bâti cette équipe comme il les bâtit toutes, à son image en y insufflant en plus la dose de talent qu'il n'avait pas nécessairement, et qui comme elle va progresser dans ce tournoi) à cette équipe pour aller plus loin, à commencer par dimanche contre la Suisse où tout est permis sauf la défaite pour terminer premier du groupe mais où on attend surtout moins de tension et plus de jeu.

La France est en huitièmes de son Euro après deux matchs, c'est impeccable de ce point de vue mais on en attendait pas moins, et elle aura donc intérêt à ne pas perdre dimanche pour s'offrir le huitième -forcément suffocant- le plus facile possible. Elle a surtout intérêt à élever sensiblement son niveau de jeu, parce que clairement, avec son supplément d'âme actuel, elle peut, à condition d'assembler enfin les pièces du puzzle, viser très haut.

Jude

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