Césars/Oscars, vent contraire (2/2): Tristes Oscars, sauvés par un Revenant
- Jude
- 8 mars 2016
- 6 min de lecture

À l'inverse des Césars (voir l'article précédent), bien tristes ont été ces Oscars...
Déjà bien entâchés avant même d'avoir eu lieu en raison de l'absence totale de Noirs parmi les nominés, les Oscars n'ont rien arrangé à leur affaire avec leur palmarès, qui dit quelque chose de presque aussi préoccupant sur le cinéma hollywoodien que les vieux relents de ségrégation qui semblent poindre: une profonde médiocrité.
Évidemment, lorsqu'on se coupe plus ou moins sciemment d'une partie de la profession et par la même occasion de la population sous un prétexte aussi atroce que la couleur de peau, on ne fait rien pour éviter la médiocrité.
Il faudra quand même que les hommes le comprennent avant qu'il ne soit trop tard, à l'heure où Le Pen ou Trump électrisent les foules des deux côtés de l'Atlantique: le mélange et la diversité sont synonymes d'émulation et d'enrichissement mutuel.
Bien sûr, le cinéma est relativement secondaire, les Noirs Américains ont connu des heures bien pires et ont livré de plus dures et cruciales batailles mais le septième art est un miroir, même inexact, de la société, et la saisissante pâleur des nominations aux Oscars est peut-être symptomatique d'un mal plus profond qui persisterait encore...
Évidemment aussi, lorsqu'on se coupe plus ou moins sciemment des meilleurs films et artistes de l'année, on ne fait rien pour éviter la médiocrité.
C'est quand même un monde que Terrence Malick n'ait toujours rien remporté au Dolby Theatre, et même si Knight of Cups ne semble pas être son meilleur film il méritait probablement plus de nominations que la moitié des films en lice pour recevoir une statuette.
Où était Steve Jobs Danny Boyle (dont vous pouvez retrouver ma critique sur notre site) ? Pas dans les nominés pour le meilleur film ou pour le meilleur scénario original, et Boyle était absent de la liste des concurrents à l'Oscar de meilleur réalisateur... Hallucinant, alors que le film est un bijou d'écriture et de mise en scène (au sens propre, proche du théâtre) et un renouveau brillant du genre.
Où était N.W.A Straight Out Of Compton, autre biopic, nettement plus classique et moins virtuose mais rafraîchissant dans son genre, au scénario enjoué et à la B.O sensationnelle.
Et si je ne peux citer que ces films là comme grands absents des Oscars, ce n'est pas un éloge de la sélection effectuée et encore moins des films en question; non c'est un triste constat: les films nominés sont en grande partie des films médiocres et il n'y avait pas foule de meilleurs films... La conclusion est pour moi assez simple: le cinéma hollywoodien va mal, si ce n'est très mal, et la soirée de dimanche n'a pas fait grand chose pour qu'il en soit autrement.
En effet, là où les Césars indiquent une (très) belle voie à suivre pour les cinéastes français, les Oscars ont envoyé un bien mauvais signal à leurs homologues américains en bâtissant un palmarès qui laisse songeur.
Spotlight, meilleur film, vraiment?
C'est donc ce film que le pays phare du cinéma mondial, sur lequel il règne en maître absolu financièrement et prétend encore régner qualitativement, consacre comme étant sa meilleure œuvre sur l'année écoulée? Quelle tristesse...
Spotlight est un film tout à fait agréable à regarder, facile d'accès, sympa quoi. Le bon p'tit film d'enquête du dimanche soir qui nous en apprend un peu mais pas trop. Mais est-ce vraiment ça qu'on demande au "meilleur film américain de l'année"?
Le film de Mc Carthy est dénué de rythme, d'envergure. Le sujet abordé (les prêtres pédophiles et l'omerta qui entoure ce très grave problème de société) est important et intéressant mais traiter un sujet si sale avec la propreté inhérente à ce cinéma très classique est un choix déplorable. Sur le même sujet, El Club de Paolo Lorrain, infiniment moins conventionnel et entendu, dérange beaucoup plus. Le scénario, pourtant sacré meilleur scénario (...) est efficace mais affligeant de classicisme, téléphoné d'un bout à l'autre. Où es-tu, Usual Suspects...? Couronner Spotlight est un bien vilain signal envoyé à ceux qui font le cinéma au pays de l'Oncle Sam, des producteurs aux réalisateurs en passant par les scénaristes et les chefs op', et surtout la concession, même inconsciente, que le cinéma américain va mal...

Pourtant, malgré ce mal bien réel, malgré les scandales aux mauvais goût raciste et malgré la pauvreté globale des films, il y avait vraiment de quoi mieux faire!
The Big Short d'Adam McKay, salué par la critique et multi-nominé, repart bredouille à l'exception du meilleur scénario adapté, maigre consolation pour un film qui méritait tellement mieux! Drôle, intelligent, original, au rythme échevelé, plein de caméos aussi étonnants que jouissifs, porté par une formidable brochette d'acteurs (Christian Bale, Steve Carell, Ryan Gosling, Brad Pitt...), le film avait aussi et surtout le grand mérite de raconter brillamment la crise des subprimes et la folie ravageuse de notre système financier.
Pour son septième long-métrage, McKay méritait bien un Oscar du meilleur réalisateur et son monteur Brent White n'aurait pas volé une statuette. Quant au caméléon Christian Bale, il aurait selon moi fait un meilleur "meilleur acteur dans un second rôle" que Mark Rylance, bon mais plus banal dans Le Pont des Espions de Spielberg, qui ne récolte (heureusement) pas plus de prix.

Je n'ai vu ni Room (qui sort prochainement en France) ni The Danish Girl, dont les actrices Brie Larson et Alicia Vikander sont respectivement sacrées "meilleure actrice" et "meilleure actrice dans un second rôle" et ne peux donc pas m'exprimer sur ces prix (même si j'aurais bien aimé voir Kate Winslet désignée "meilleure actrice dans un second rôle", pour sa très belle performance dans Steve Jobs, qui méritait bien un prix -!!!-).
Je passe sur les six prix techniques de Mad Max, pour lesquels je ne peux pas vraiment juger (même si pour moi le montage aurait donc dû aller à The Big Short).
Reste The Revenant... D'abord affolé lorsque j'ai entendu parler du projet, signé Alejandro Gonzalez Iñarritu dont j'avais beaucoup, beaucoup aimé Birdman, éclairé par Emmanuel Lubezki (Birdman, Le Nouveau Monde, Tree of Life) et avec l'immense Leonardo DiCaprio, mon enthousiasme a lentement décliné et j'étais perplexe avant de voir le film.
Au final, c'est un éblouissement visuel comme on en fait très, très peu, et je défie quiconque de me dire que Lubezki n'a pas amplement mérité son troisième Oscar. Au milieu de ce paysage à couper le souffle, plus que malmené par la nature, les animaux et surtout les hommes, DiCaprio est hallucinant.
Monte Cristo muet, acteur total, à 3000% dans son rôle, il a plus que mérité sa statuette.
En effet, il a probablement orienté sa carrière en partie dans l'optique de décrocher enfin le Graal mais n'était-ce pas son droit le plus naturel de vouloir réparer l'incroyable injustice qui le poursuivait ?
L'Oscar est plus discutable pour Iñarritu, dont je ne vais certainement pas discuter le talent ni moquer le style (oui, il est probablement assez prétentieux, sûr de sa force et fier de ses images mais s'il met son talent au service de films si impressionnants et forts, parce que Birdman et The Revenant ne sont pas juste bluffants, ils ont aussi un propos fort, que je ne développerai pas ici parce que ce n'est pas vraiment l'objet et que je fais déjà plus long que prévu :-p) mais dont certains choix nuisent ici au film. Quel besoin d'intercaler des séquences montrant ses seconds rôles, brisant ainsi le hors-champ et diluant la beauté de la véritable action, la seule qui compte, à savoir la lutte contre la mort du personnage principal Glass (DiCaprio) ? La fin du film est également mal gérée par le réalisateur, inférieure aux deux heures qui précèdent quand elle devrait être le climax.
Sans ces erreurs et avec un je ne sais quoi en plus (le recul, peut-être), on tenait un chef d'œuvre absolu. On a quand même un très bon film, qui fera date et méritait probablement la statuette ultime, soufflée par un film dont plus personne ou presque ne se souviendra dans quelques années.

L'échec est donc assez considérable pour ces Oscars, qui non-contents d'établir des nominations ratées et ségrégationnistes ont inscrit dans leurs archives un film moyen, banal, préférant le récit sympa mais fade d'une enquête (Spotlight) à une épopée vengeresse visuellement grandiose (The Revenant) et une molle remise en question de la place de la religion dans nos sociétés (Spotlight encore :-)) à une attaque brillante et incisive contre le poison de l'ultra-libéralisme toujours plus violent et aveugle (The Big Short).
Jude
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