À croquer
- Jude
- 14 févr. 2016
- 3 min de lecture

Le biopic est un "exercice" périlleux. Le genre accouche souvent de films intéressants pour ce qu'ils nous apprennent mais trop souvent cruellement peu originaux et inspirés, d'une linéarité et d'une platitude parfois affligeantes. Partant de ce constat, Steve Jobs ne présageait pas vraiment d'être ce qu'il est, selon moi: un très très bon sinon un grand film.
Et arrivé perplexe dans la salle, j'en suis ressorti ébloui! J'ai évidemment déjà vu meilleur film, ne serait-ce que le lendemain (La Terre et l'Ombre de César Acevedo que L'Enfance Lue vous recommande très chaudement si vus êtes prêts à voir un film lent et contemplatif-mais magnifique...!), mais la pomme est à croquer!
Si le film est si savoureux, c'est d'abord l'oeuvre de Danny Boyle. Le réalisateur du fantastique Slumdog Millionaire maîtrise son métrage comme peu de réalisateurs en sont capables: ses mouvements de caméra sont d'une douceur et d'une intelligence peu communes à Hollywood et le grain fait un bien fou alors que les images travaillées sont devenues peaux de chagrin en Californie.
Mais le film, très très injustement boudé par le public américain et surtout par les Oscars (même pas nominé dans la catégorie "meilleur film", ce qui est à peu près aussi scandaleux que le fait que Di Caprio n'ait toujours pas remporté la statuette dorée, qui plus est quand on regarde le cru 2016), doit au moins autant à son scénariste Aaron Sorkin. La plume de The Social Network (si vous souhaitez faire un grand biopic, adressez-vous à cet homme) a contourné avec une virtuosité hallcuinante les limites du biopic: il n'est pas question dans Steve Jobs d'un récit parfaitement linéaire dans lequel on suivrait le héros de ses dix ans à sa mort (ce qui est loin d'être gage de mauvais film mais la différence est toujours une bonne chose) ; le film est ici divisé en trois tableaux, trois actes, situés chacun dans les coulisses avant la présentation d'un ordinateur de Jobs, du Macintosh à l'IMac en passant par le NeXT, de 1984 à 1998 en passant par 1988.
Chaque moment-clé de sa carrière est ici pour Jobs l'occasion de faire le point sur sa vie au travers de discussions enflammées et passionnelles avec les grandes personnes de ses vies professionnelle et privée: Joanna Hoffman, sa dévouée reponsable marketing (Kate Winslet, que l'on retrouve avec très grand plaisir au top, belle et excellente), Steve Wozniak, son ami et associé des débuts (Seth Rogen), le PDG d'Apple John Sculley (Jeff Daniels) et sa fille Lisa (incarnée par trois actrices différentes).
L'autre grande réussite de Boyle et surtout Serkin est de dessiner l'homme derrière la machine, à coups de dialogues brillantissimmes où l'euphorie et l'arrogance des premières séquences laissent place à la rancoeur et aux profonds regrets. Il y avait un homme à l'origine de la pomme, un homme très très loin d'être parfait, impitoyable requin en affaires et atrocement mauvais père, mais très touchant lorsqu'il se décrit lui-même comme un "défaut de fabrication".
Porté par un génial Michael Fassbender (mon dieu que cet acteur est talentueux et complet) et de très bons seconds rôles, servi idéalement par un scénario, une rélaisation et un montage (signé Jon Harris) qui lui assurent un rythme puissant et une forme aussi originale qu'intéressante, marqué par les regrets et la mélancolie nés d'un hors-champ parfaitement exploité et de dialogues époustouflants, Steve Jobs est à mon sens un grand film et un immense biopic. Courez-y! :-)
Jude
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