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On est allé voir Richard III...

  • Angèle, Max et Jude
  • 18 janv. 2016
  • 7 min de lecture

Quand la 1ère L2 du lycée Sophie Germain (Paris) va voir Richard III de Shakespeare mis en scène par Thomas Jolly à l'Odéon, ça donne deux avis dythirambiques émerveillés et une critique très (mais alors très) sèche de notre vilain petit canard maison. Ce qui a le mérite de créer le débat (contrairement à Démons dont vous pouvez retrouver la critique sur le site) et à vous inviter à aller vous faire votre propre avis!

Une Jolly tragédie

Thomas Jolly signe la fin de la tétralogie de Shakespeare avec Richard III. Un franc succès pour cette pièce qui mêle racine et modernité, peur et rire, et surtout admiration et envoûtement. Chapeau l’artiste !

Après le fantastique Henry VI, Thomas Jolly monte Richard III avec sa compagnie, la Piccola Familia. On note une très bonne distribution, notamment Flora Diguet dans le rôle de Lady Ann et Damien Avice dans celui du duc de Clarence ; le jeune metteur en scène de 33 ans incarnant également le protagoniste principal. De cette pièce se dégage une forte unité de groupe, qui se mue en liens familiaux des personnages. De plus, le jeu des acteurs est soigné dans les moindres détails, et jusqu’au bout des doigts : la démarche de Richard est parfaitement représentative, aucun oubli ni erreur ne ressort de cette pièce. On relève aussi un incroyable jeu de sons, lumières et décors, qui modernisent cette tragédie avec délice. Modernité et rire vont d’ailleurs ici de paire, Richard III qui chante « I’m dog, I’m toad, I’m a hedgehog » est juste délectable. Tout comme dans les drames antiques, la bienséance externe reste en coulisse, et ce théâtre nous procure des émotions profondes, comme la haine et la peur. Enfin, après une entrée intrigante, la pièce se clôt sur un extraordinaire final. Thomas Jolly a osé et c’est réussi.

Angèle

« DESESPEEEEEERE ET MEUUUUUUURS ! »

Oui ! Nous sommes morts ! Nous sommes allés au grand Théâtre de l'odéon le Samedi 9 Janvier ! Les lumières s'éteignent, une chaleur étouffante nous entoure, et ça commence... Une trappe s'ouvre et un petit corps que l'on aperçoit au loin, déformé et encerclé par cette fumée, s'extirpe et commence ! Il n'aurait pas dû ! Je n'arrive pas à comprendre cette vision du théâtre, où il faut déclamer, parler de cette façon peu naturelle, qui est aujourd'hui ridicule et démodée !! Cette vision classique du théâtre et de la manière de s'exprimer relève de la diction de Sarah Bernhard. Nous subissons un retour dans le passé, avec en plus cette complaisance, cette façon de parler fort, d'articuler et d’exagérer tout les mots qui se trouvent sur leur passage. Cela rend donc un tout : criard, complaisant, antipathique, emphatique et avec cette idée de démonstration. Il n'y a plus cette idée d'un travail commun: non ! On ne voit que des acteurs qui crient chacun plus fort que les autres, qui ne cherchent qu'à se faire remarquer : « regardeeeeeez je suis bien là ». Ce jeu nous perd et ne fait qu'apporter de la confusion, où l'on ne distingue plus qui est qui... NON! On ne voit que Richard III, tout est basé sur lui, sur cet être antipathique, qui joue dans la complaisance, dans l'exagération et dans le surjeu. Oui Thomas Joly, on sait, vous vous aimez! Vous vous donnez le rôle principal... Cette diction, nous permet donc de comprendre un mot sur trois, de se perdre dans l'histoire et dans le propos. Pourtant le texte est extrêmement fort, traitant différents thèmes tels que la mort, l'injustice, la trahison et la soif de pouvoir. Mais on nous perd par cette trop grande recherche de nouveauté. N'est-il pas paradoxal de jouer d'une façon si classique et conventionnelle dans des costumes, des éclairages et des décors très laids mais qui relèvent du jamais vu? Ah oui ! Ça je conçois que ce n'est du jamais vu : ces costumes punk et rockers qui sont extrêmement laids, avec ces maquillages de clowns tout blanc relevant du burlesque et du ridicule. Les lumière sont quand à elles impressionnante, avec cette envie de reproduire à la fois un concert et Star Wars (oui c'est vrai que c'est un bon investissement en ce moment). Il y a toujours cette idée d’impressionner, nous détournant encore du sens profond et d'une vraie réflexion sensée et intelligente sur ce qu'est le théâtre ! Tous les aspects intéressants -le partage, la réflexion et l'émotion- sont totalement éradiqués. La première partie est insupportable, elle est hystérique, avec ces acteurs qui courent et hurlent de tous les côtés, où l'on ne comprend absolument rien, où nous sommes effarés par tant de complaisance, par tant de démonstration et par cette scénographique extraordinaire. Nous avons eu droit aussi au moment guignol, que nous pouvons retrouver au Buttes Chaumont ! Mon dieu, quand on est drôle, on est pas obligé de jouer comme si les spectateurs avaient 4 ans. Se finissant par une petite touche vulgaire avec ce concert atroce, crispant le spectateur, ne sachant pas comment réagir et qui n'a qu'une envie, c'est de hurler ? Jusqu'à la venue de cet homme-âne qui nous montre son fessier ! Ce qui transforme ce hurlement en pleurs. Oui, je n'avais qu'une envie c'était de pleurer devant tant d'horreur, d'avoir oseé faire une chose pareille ! Vous me demanderez pourquoi je suis resté ? Je vous répondrai que l'on ne peut critiquer quelque chose si on ne l'a pas vu en entier ! La seconde partie était plus calme, plus interessante et plus émouvante. Mais cette émotion est alors tellement recherchée : les acteurs vont jouer d'une façon pleurnicharde. Et cette pleurnicherie est la seule recherche: tout le monde pleure, crie, rendant le spectateur mal à l'aise, en plus de ce mal de tête grandissant. On n'attend qu'une seule chose !! La fin !! Donc oui, j'ai trouvé cette pièce de mauvais goût de tous points de vue : costumes, scénographie, décors et surtout acteurs. Il ne manquait plus que le tigre au milieu, car nous sommes au cirque! Je suis quand même intrigué par le travail de Thomas Joly et regarderai la suite avec attention. Mais fuyez, fuyez Richard III !!

Max

Fou, osé, génial !

Quelle claque! Quel plaisir! Un vent frais souffle sur le théâtre français, un vent jeune, puissant, inspiré, inspirant, pas prêt de s'arrêter, tout du moins je l'espère. Ce drôle d'oiseau, ce drôle de vent s'appelle Thomas Jolly. À seulement 33 ans, celui qui a étudié au Théâtre National de Strasbourg et s'est déjà frotté à Guitry et Marivaux continue d'explorer Shakespeare après sa démiurgique trilogie Henri VI longue de 18 heures dont 13 de spectacle et présentée à Avignon il y a un an et demi. Entreprendre ce projet pour un petit jeunot semblait relever de la folie pure, y ajouter un an plus tard un quatrième opus ressemble à une ultime provocation rebelle et présomptueuse. Ça l'est peut-être mais l'ambition artistique n'a jamais fait de mal et n'en fait certainement pas à un théâtre français qui reste un peu trop souvent dans sa zone de confort, à l'instar du cinéma ou même de la littérature hexagonaux. La voilà la grande fresque tant attendue depuis des années dans l'art français, le voilà le défi colossal, la voilà l'explosion des codes, des restrictions et du nombrilisme! Le tout avec une mise en scène et une scénographie folles, démentes et ultra-modernes qui bousculent le paysage théâtral français au moins autant que ne le fait le projet.

De la musique rock digne des films de Scorsese à l'esthétique qui fait penser à la famille Adams en passant par la lumière (mon dieu, je n'ai jamais vu lumière si incroyable au théâtre: c'est plus qu'un éclairage, c'est un émerveillment: c'est un personnage, un être vivant, chaque spot lumineux est un droïde de Star Wars...!), le génial et omnipotent Thomas Jolly a concocté un cocktail absolument jouissif et susceptible de plaire à tous, de la petite-fille de 6 ou 7 ans que j'ai aperçu à ma prof d'histoire dansant à fond pendant la scène absolument délirante qui précède l'entracte, climax de révolution scénique, de folie pure au cours de laquelle les acteurs se livrent à un show incroyable et investissent la salle pour couronner Richard dans un simulacre de démocratie avant que celui-ci, à peine monté sur le trône, ne se livre avec ses sujets déchaînés à un concert aussi génial qu'absurde. Le tout à l'Odéon, dans une salle toujours aussi magnifique qui tremble sous les coups de pieds et les voix mêlées de la foule majoritairement conquise. L'Odéon, théâtre habituellement classique comme le démontrait la (belle) dernière mise en scène de feu Luc Bondy, Ivanov; l'Odéon théâtre de ce génial et ultra-moderne show aux accents cinématographiques. C'est trop bon. La pièce en elle-même est en plus terriblement belle, effrayante et captivante et la première partie du spectacle est aussi un pur bonheur du point de vue de l'intrigue. Thomas Jolly, en Richard est aussi génial qu'en metteur en scène, décorateur et concepteur de la lumière- cet homme est incroyable..., est absolument terrifiant: aussi machiavélique que Iago, aussi fou que le Joker, à la démarche aussi dingue que celle du Général Grievous dans Star Wars, il hante la scène et fascine. On pourra bien sûr toujours arguer que les acteurs secondaires sont globalement bien peu inspirés, forçant pour la plupart sur la voix et une gestuelle maladroite, et qu'on a un peu plus de mal à rentrer dans la seconde partie de la pièce, durant laquelle le temps semble un peu long. Il y a et il y aura aussi évidemment toujours des gens pour ne pas aimer beaucoup voire ne pas aimer du tout (Max en est la preuve, cela dit Max n'aime pas grand chose, mais ça reste entre nous ;-)) mais aucune œuvre ne fait consensus total et je peux comprendre que celle-ci en choque certains. Il n'empêche que pour toutes les raisons énoncées par Angèle et moi, je vous conseille absolument d'aller voir Richard III et moi qui ai rarement vu 4h30 passer si vite, j'ai hâte de revoir Thomas Jolly à l'œuvre et ça donnerait presque envie de voir une pièce de 18 heures, c'est dire ! Bravo et merci à vous et votre compagnie, mister Jolly !

Jude

Théâtre de l’Odéon, place de l’Odéon 75006 Paris. Du 6 Janvier au 13 Février 2016 à 19h30, dimanche 15h, relâche le lundi. Tel : 01 44 85 40 40. Durée : 4h30 avec entracte.

 
 
 

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