Mia Madre, le cinéma (avec un immense N et un gigantesque M)
- Jude
- 7 déc. 2015
- 3 min de lecture

Je vous préviens tout de suite: il est assez difficile de retranscrire ce que j'ai ressenti devant Mia Madre et cet article est plus une déclaration d'amour à un immense film et un non moins immense réalisateur qu'une critique, ce qui serait trop réducteur pour décrire ce que ce film m'a fait, dit, raconté.
Il est assez étonnant que Mia Madre n'ait pas eu la Palme, assez scandaleux qu'il n'ait rien gagné à Cannes, assez aberrant que la critique n'en parle pas en termes encore beaucoup plus élogieux. Mais Mia Madre n'a finalement pas besoin des lauriers de la Croisette ou des louanges sans fin des critiques. Mia Madre est un immense film et dans quelques années le fait que Dheepan lui ait été préféré sera sans doute plus pour Moretti et ses fans source de fou rire que de réelle frustration. Moretti a déjà triomphé à Cannes et on ne le voit pas en vouloir à un festival qui l'a révélé et l'a accompagné. On ne le voit pas non plus en vouloir aux Frères Coen car il est assez intelligent pour voir que, même s'ils ont concocté un des palmarès les plus foireux de l'histoire de tous les festivals du monde, ils restent de très bons cinéastes. Non, Moretti poursuit autre chose. Bien sûr qu'il a dû être touché par ses Prix à Cannes- qui ne le serait pas ? Mais ce doit être finalement assez secondaire lorsqu'on est en train de peindre une des plus belles fresques sur la condition humaine jamais réalisées.
Il est là, sous nos yeux. Depuis des années. Et l'on ne s'en rend pas vraiment compte, pas assez en tout cas. On le voit souvent comme un bon réalisateur, un très bon réalisateur voire un grand réalisateur. Je pense qu'on se trompe. Après avoir vu seulement quatre de ses films (honte à moi, je m'y mets), je pense que Nanni Moretti est un immense réalisateur. Un génie, un géant du cinéma dont on a peut-être pas encore pris la pleine mesure. Parce que son cinéma n'est pas flamboyant ? Oui, c'est vrai, Moretti n'a pas inventé le bruit du silence comme Scorese, n'a pas touché à tous les genres comme Kubrick, n'a pas réalisé d'immenses fresques comme Kurosawa, pas de comédie musicale marquante pour toute une génération et au-delà comme Demy, n'a pas le message politique d'un Kiarostami, pas Le Parrain ou l'Apocalyse Now de Coppola. Et alors? Il est l'éloge même du cinéma pur, la preuve vivante que ce qui est simple et fluide peut être magnifique. Pourquoi alors ? Parce que, à la frontière entre grand public et cercle fermé, ce n'est pas ou plus ni une mode ni une fierté de le connaître et de l'adorer? Oui, c'est vrai, Moretti n'est ni connu par le monde entier ni seulement par une élite. Pourtant il mériterait d'être vu par tous et adoré par le plus grand nombre, parce que son cinéma est universel, parle à tout le monde. Regarder un film de l'ami Nanni (oui, il devient comme un ami) c'est l'écouter nous raconter une histoire de sa si belle voix (un peu trop grave, très douce) qui magnifie la langue italienne.
Comme disait Pascal, "c'est une sphère dont le centre est partout, la circonférence nulle part". Il y a d'ailleurs du Pascal chez Moretti. Mais s'il porte un regard souvent désabusé, moqueur et malicieux sur l'homme et ses travers, le Romain est profondément amoureux de cet être un peu vain, très fébrile, parfois désespérant, parfois triste, capable du pire mais aussi du meilleur, de combattre la mélancolie par la joie.

Dans Mia Madre, "l'homme à la Vespa" se confronte à la mort, la mort qu'il a vécue, celle de sa mère. Bien sûr, la mélancolie est présente, l'ombre menaçante de la mort appelle les cauchemars et les angoisses enfantines, la mort bouleverse tout, rend tout si vide et creux, et les enfants de la mourante Ada (bouleversante Giulia Lazzarini), Giovanni (Nanni himself, toujours aussi touchant) et Margherita (formidable Margherita Buy) traînent leur spleen dans Rome tantôt déserte tantôt trop pleine (comme dans Journal Intime) mais le film est aussi et surtout une déclaration d'amour à l'homme et tout ce qu'il a de meilleur (le cinéma, le vivre-ensemble, les civilisations antiques, l'amour filial, la réflexion, les amitiés, les fous rires collectifs, les enfants, la famille avec le gigantesque et magnifique F qui la caractérise dans les films italiens et italo-américains), une ode à la joie à travers les pas de danse endiablés et cris de fureur joyeuse de Barry (fantastique John Turturro), un génial hymne à la vie de la première à la dernière seconde, climax de ce chef d'œuvre d'émotion et de beauté aveuglante : "-À quoi tu penses, Maman ? -À demain."
Mia Madre, le cinéma (avec un immense N et un gigantesque M).
Nanni Moretti, le cinéma (avec un immense N et un gigantesque M).
PS: Je t'aime Nanni!!!
Jude
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