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  • Kamil

Rencontre avec un disquaire


INTERVIEW DE PHILIPPE PIERRE-ADOLPHE, DISQUAIRE PARISIEN

« Bonjour, je suis disquaire Rue St-Denis, installé depuis 18 mois, après une longue vie dévolue à la musique, et j’ai monté cette boutique, le Maquis Store »

Comment s’est passé votre enfance, comment en êtes vous arrivé là ?

Ah c’est loin, je commence à être un vieux bonhomme… Ça remonte aux années 60, j’ai grandi en proche banlieue parisienne, Asnières puis Colombes. Colombes était alors une ville communiste, et les communistes qui ont toujours été très passionnés par la culture, ont créé une discothèque (ancêtre de la médiathèque, pas celle que l’on connaît aujourd’hui). J’avais 14 ans et on avait le droit d’emporter et d’écouter chez nous 2 albums par semaine. Le gérant qui s’occupait de ça était très actif et la discothèque était très bien fournie (rock progressif, allemand, anglais, débuts d'électro…). J’adorais les Sex Pistols et les Clash surtout, et j’adore toujours ! Ces musiques sont intemporelles, dans 2 siècles on écoutera toujours les Clash ! Après, dans les années 70, dans le cave de l’Olympia s’est formé un club, fondé par un mec de Colombes, le Rose Bonbon. C’est ce club qui a fait connaître la scène française de la fin de années 70, comme Taxi Girl, Oberkampf, Indochine et d’autres. C’était génial, les sessions s’appelaient le Rock Open All Night. Et moi, 25 ans plus tard, j’ai rendu hommage à ce club, en produisant une compilation reprenant tous ces groupes.

J’ai fait une école de cinéma, et j’ai commencé à être journaliste dans les revues de cinéma. Bon, vu qu’ils ne payaient quasiment pas, j’avais 22 ans, il fallait bien commencer à vivre, j’ai été engagé en tant que pigiste pour deux journaux « contre-culture » des années 80, Métal Hurlant et Actuel. Me voilà donc à 23 petite star de la presse parisienne, ce qui m’a aussi fait un peu connaître au niveau national. Ensuite j’ai commencé à faire du journalisme un peu plus “sérieux“, j’ai bossé pour Paris Match, et après j’ai commencé à bosser pour la télé, chez TF1. J’y ai créé un journal qui s’appelait le “Mini Journal“, un magazine pour adolescents. A l’époque c’était la fin des films et le début des caméras vidéos. Avec un pote on faisait nous même nos sujets, donc on a un peu révolutionné la télé de l’époque en nous filmant nous même : la télé était très figée, c’était des équipes classiques de quatre et c’est tout. Ça s’est arrêté parce qu’on a été virés par Bouygues. Après j’ai continué de faire des vidéos et du documentaire et par un concours de circonstance j’ai du revenir à la presse écrite. Là j’ai écrit des livres sur la musiques, des “papiers“ sur de nouveaux groupes de l’époque, et aussi des scénarios pour la télé et les bandes dessinées (comme des Kid Paddle et des Titeuf).

A 37 ans, je décide de monter mon label de musique, qui s’appelle “Le Maquis“, très beau nom, symbole de la Résistance, résistance artistique, économique et historique. Et pendant 16 ans j’ai produit 240 albums. Ce qui est marrant, c’est qu’il y a des groupes que je connaissais en tant que journaliste et que j’ai produits 30 ans après (comme A Certain Ratio, groupe mancunois). Ce label a fermé il y a 2 ans, mais la boutique s’appelle “Le Maquis Store“, c’est une petite boutique, mais c’est pour moi la plus grande boutique de la Résistance musicale.

Durant ces deux dernières années il y a eu plus de vente vinyles que de téléchargements. Un ressenti ?

Oui clairement ! Ici quand je vends 20 vinyles, je vends 1 CD. Le CD est foutu, le vinyle réémerge c’est incroyable ! Je suis sûr que dans deux ans le vinyle se vendra plus que le CD, le CD est mort. Après vu qu’on parle de téléchargement… déjà il y a beaucoup de téléchargement illégaux, mais le streaming ça rapporte vraiment rien aux artistes, un peu aux maisons de disque, mais ça rapporte surtout aux providers, qui gagnent 30 à 40%... c’est fou ! Ça leur coûte rien, rentrer une métadata sur un ordinateur et puis voilà c’est tout ! Après les gens sont contents, bien sûr, pour 9€/mois ils ont toute la musique qu’ils veulent, mais c’est du son pourri, c’est compressé, c’est nul, ça s’écoute avec des écouteurs et dans 10 ans ils ont plus d’oreilles… Alors que le vinyle, c’est de l’analogique, et un mastering de vinyle c’est juste merveilleux ! Vous voyer le vinyle qui apparaît, c’est magique quoi ! Le son est chaleureux, rond, puissant, on entend tout comme si on était en studio, face aux musiciens.

Une raison à ce retour du vinyle ?

​Tout d’abord, l’objet est magnifique dans un emballage papier, et c’est inépuisable, si vous l’entretenez bien (dans une cave humide de préférence) ils peuvent tenir très longtemps, moi je vends encore des vinyles que j’avais à 15 ans. Le CD c’est dans un boîtier en plastique, c’est moche, ça se casse…qui a envie de ça ? Tient, par exemple, pourquoi le livre tient toujours, même avec un peu de mal ? C’est parce que l’objet est beau aussi, on a besoin du rapport tactile avec l’objet. C’est pareil pour le vinyle, c’est beau à regarder et à écouter.

C’est notamment pour ca que j’en veux aux Fnacs et tout ca, parce qu’ils ont laissé tomber le vinyle, ils en voulaient pas, et maintenant à la Fnac ils sont des sessions “Only For Vinyle“, c’est génial quoi… alors qu’ils en ont rien à foutre et que pendant ce temps j’étais un des derniers producteurs à sortir le Hip-Hop et la House en vinyle !

Qu’est ce qui se vend le mieux ici ?

Les classiques principalement (Pink Floyd, Kraftwerk, Rolling Stones etc) mais plus généralement du rock, du jazz, de l’électro et des chansons françaises. Je vend aussi des nouveautés par contre : j’ai vendu 3 vinyles du nouveau Saint Germain sorti récemment hier ! Mais ce que je trouve très drôle, c’est que les gens veulent beaucoup les vinyles de leurs parents. Sinon, j’ai de la chance d’être dans le centre de Paris, dans la rue St-Denis mythique pour des raisons “tout à fait particulières “, je vends donc aussi à pas mal de touristes, principalement à des anglo-saxons, aux scandinaves et à l’Europe du Nord en générale. Et aussi énormément aux chinois ! Ils n’avaient pas accès à cette culture durant le régime dictatorial communiste et achètent donc beaucoup.

Je vends aussi internationalement sur Internet, via Discogs.com. Après le problème avec ce site c’est que les gens peuvent mettre leurs disques qui valent 10-15€ à 2€, donc ça crée encore une concurrence…je vais pas vendre ces disque à 2€, du coup à partir de 10 disques similaires déjà en ligne je ne les met pas. J’y mets seulement les pièces collectors, mes pièces rares qui valent entre 500 et 1000€. Mais n’ayez pas peur je vends en magasin des pièces entre 10 et 30€ aussi.

A propos des prix, il y a certains disquaires abusent un peu ! Je ne dirai pas le nom de ces coupables, mais ils mettent des prix à la louche et vendent des vinyles que je vends 20-25€ à 50€. Ils profitent de l’effet de mode et les gens se font avoir…

La concurrence avec la Fnac et autres grandes entreprises est-elle rude ?

Ce n’est pas la même chose ! Eux ils ne font que des nouveautés, ce n’est pas de la collection. Les prix sont plutôt bas ici, mais la Fnac c’est une grosse puissance économique (elle veut racheter Darty c’est pour dire !) et donc elle se permet de faire des promotions qu’elle appelle “prix verts“ pendant 1 ou 2 mois avec 15% de remise. Du coup nous les disquaires, on a un peu de mal à lutter parce qu’on est indépendants, et du coup on ne bénéficie pas des mêmes accords avec les distributeurs (les délais de paiements par exemple sont plus longs pour la Fnac).

Être disquaire indépendant aujourd’hui c’est un vrai sacerdoce, il faut être totalement malade pour faire ça. Il ne faut pas oublier qu’il y a 10 ans il y avait 2500 disquaires en France… on est plus que 150 aujourd’hui. Après, avec la mode qui revient, il se crée actuellement une dizaine de disquaires par trimestre en France, ce qui est pas mal. D’ici un moment on pourrait rattraper Berlin ou Amsterdam.

Le 07/10/15 au Maquis Store

Kamil (avec l'aide de Benjamin)

PS: N’hésitez pas à regarder tous les samedi jusqu’à Noël sur W9 la chronique musicale animée par Philippe !

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